Christian REDON-SARRAZY, Sénateur de la Haute-Vienne

Transformer l’essai de l’innovation : un impératif pour réinudustrialiser la France

Un soutien public massif en faveur de l’innovation pour des performances industrielles mitigées

De 2010 à 2030, 110 milliards d’euros engagés en faveur du soutien à l’innovation

Depuis 2000, l’effort de l’État en faveur de l’innovation s’est sensiblement accru, avec une accélération à partir de 2010 via le lancement du premier programme d’investissement d’avenir (PIA). Au total, les trois premiers PIA ont mobilisé 57 milliards d’euros tandis 54 milliards d’euros d’investissements supplémentaires seront engagés dans les prochaines années au travers du PIA 4 et France 2030.

Des difficultés pourtant persistantes à faire émerger de nouveaux champions industriels

Les dispositifs publics mis en place ont permis l’essor d’un écosystème de start-up françaises. Ainsi, la « French Tech » compte désormais 20 000 start-up contre 1 000 en 2013 tandis que 11,6 milliards d’euros ont été levés en capital-risque en 2021.

Toutefois, les principaux bénéficiaires sont essentiellement les entreprises du numérique, des technologies de l’information et de la communication. Sur les 26 licornes françaises, seulement une société est industrielle.

Quatre conditions préalables indispensables à l’efficacité d’une politique d’innovation au service de notre avenir industriel

Investir dans l’éducation et la recherche

Les investissements dans la recherche fondamentale sont essentiels car ils déterminent notre capacité à anticiper les ruptures technologiques de demain. Par ailleurs, une recherche fondamentale de haut niveau requiert d’investir au préalable dans l’enseignement supérieur et la formation, en particulier dans les disciplines technologiques et scientifiques.

Pourtant, depuis plus de 20 ans, les dépenses en R&D de la France stagnent à 2,2 % du PIB, nettement inférieur à l’objectif de 3 % fixé par le conseil européen de Lisbonne, tandis que la dépense moyenne par étudiant baisse chaque année de 0,8 % depuis 2010, avec des conséquences désastreuses sur la qualité de la recherche et des apprentissages.

Une revalorisation massive des rémunérations à la fois des enseignants et des chercheurs ainsi qu’une loi de programmation de l’enseignement supérieur sont indispensables pour relever le niveau des enseignements, susciter des vocations d’ingénieurs et de scientifiques et attirer et conserver les talents sur notre territoire.

RéIndustrialiser par l’innovation

70 % des dépenses privées de recherche et de développement sont portées par l’industrie manufacturière. La désindustrialisation massive de la France, encouragée par le mythe funeste des « entreprises sans usine » explique en grande partie la faiblesse de nos dépenses en R&D.

La politique de recherche et d’innovation doit donc être orientée vers la réindustrialisation de la France, notamment en favorisant les partenariats de recherche et de transfert de technologie avec des entreprises françaises et en fixant des conditions de localisation sur le territoire lorsqu’une entreprise bénéficie d’investissements publics et de brevets français.

Renforcer la culture de l’innovation et de l’entrepreneuriat

La culture de l’innovation et de l’entrepreneuriat exige la prise de risque et l’acceptation sociale de l’erreur en tant que phénomène normal dans le processus d’innovation. Or notre système éducatif nous inculque la peur de l’échec. Par ailleurs, alors que les capacités d’innovation technologique des entreprises reposent en partie sur leurs liens avec la recherche académique, la France se situe seulement au 31e rang mondial en matière de synergies entre recherche académique et entreprises en dépit des progrès accomplis depuis vingt ans.

Afin d’insuffler une culture de l’innovation à tous les niveaux de la société, il est nécessaire de modifier la perception française de l’échec dès le plus jeune âge au travers d’une réforme des méthodes pédagogiques, d’élargir le vivier des innovateurs potentiels par des politiques ciblées en direction des filles et des jeunes issus des classes sociales les moins favorisées et de généraliser les formations à l’entrepreneuriat dans l’enseignement supérieur. Par ailleurs, le renforcement des synergies entre recherche académique et entreprises exige de revoir les critères d’évaluation des chercheurs afin d’accorder la même valeur aux brevets qu’aux publications scientifiques, de revaloriser la recherche technologique, d’augmenter le nombre de doctorants en entreprises et de multiplier les « lieux de frottement » entre monde académique et monde économique.

Mettre en place une véritable stratégie de l’innovation

La France a une vision trop linéaire de l’innovation, qui conduit les pouvoirs publics à soutenir celle-ci essentiellement au travers d’appels à projets qui ne permettent pas de construire des feuilles de route industrielles et technologiques. En outre, le nombre de dispositifs de soutien à l’innovation est passé de 30 à plus de 60 entre 2000 et 2015, conduisant à un saupoudrage des aides publiques incompatible avec le développement de secteurs technologiques innovants fortement capitalistiques. Enfin, le soutien public à l’innovation se caractérise par une culture de l’évaluation ex ante à la fois pesante et inefficace.

Afin d’avoir une stratégie de l’innovation globale et cohérente, il est nécessaire de s’appuyer sur les écosystèmes territoriaux pilotés par les régions, de privilégier une approche holistique combinant les dispositifs de soutien à des projets en amont avec une capacité à appuyer les phases aval d’industrialisation, de coordonner la stratégie nationale avec les dispositifs européens de soutien public à l’innovation et de mettre en place des gouvernances agiles et resserrées capables d’exécuter des décisions en « circuit court » fondées sur une évaluation régulière de l’impact économique des projets soutenus et sur une veille stratégique permanente.

Les trois axes d’un soutien collectif au développement des entreprises industrielles innovantes

Le rôle du parlement : des modifications fiscales à adopter, des avancées législatives à soutenir

Le crédit d’impôt recherche (CIR) représente une dépense annuelle de 6,6 milliards d’euros, soit les deux tiers des dépenses publiques de soutien à l’innovation, avec une efficacité démontrée inversement proportionnelle à la taille des entreprises. Or, si les PME représentent 91 % des bénéficiaires du CIR, elles ne représentent que 32 % de la créance fiscale. Inversement, les 10 % des bénéficiaires les plus importants perçoivent 77 % du montant total de CIR.

Afin de concilier stabilité fiscale et renforcement de l’efficacité du CIR, il est proposé d’apporter, à la marge et à moyens constants, les modifications fiscales suivantes :

  • supprimer le CIR audelà du plafond de 100 millions d’euros de dépenses de R&D tout en augmentant à due concurrence le taux en deçà de ce plafond ;

  • calculer le plafond du CIR au niveau de la holding de tête pour les groupes qui pratiquent l’intégration fiscale et augmenter à due concurrence le taux en deçà du plafond de 100 millions d’euros.

De même, il est proposé de doubler le plafond du crédit impôt innovation (CII) pour le porter à 800 000 euros afin de mieux accompagner le passage à l’échelle des PME industrielles innovantes en leur permettant de financer des démonstrateurs plus coûteux.

Enfin, il est proposé d’instituer un « coupon recherche innovation » de 30 000 euros à destination des PME, dans la limite d’une enveloppe globale de 120 millions d’euros.

Par ailleurs, l’adoption d’une loi pluriannuelle de programmation de l’innovation qui associerait pleinement le Parlement dans son élaboration paraît indispensable afin de répondre au « besoin de temps long » des acteurs industriels et de l’innovation et d’assurer une démarche globale, lisible et cohérente de planification budgétaire dans un contexte de dispersion des crédits et de leur gouvernance.

Le rôle du gouvernement : une commande publique à mobiliser, une administration à réformer, une vision stratégique à améliorer

Alors que la commande publique représente 111 milliards d’euros (chiffres de 2020) et qu’elle constitue un levier majeur de soutien aux industries innovantes dans de nombreux pays, cet outil demeure très peu utilisé en France. Face à une approche frileuse du droit de la commande publique, à des pratiques qui privilégient les grands groupes plutôt que les petites et moyennes entreprises innovantes et au regard des résultats décevants de l’expérimentation sur les achats innovants, il convient de faire de la commande publique un levier essentiel de croissance des entreprises industrielles innovantes par :

  • l’utilisation de toutes les souplesses du code des marchés publics (description précise des besoins pour orienter le choix vers tels fournisseurs, fixation de normes techniques, règles spécifiques dans le domaine de la défense et de la sécurité qui permettent de recourir à la procédure négociée sans publicité ni mise en concurrence préalables, etc.) ;

  • l’intégration du soutien à l’innovation parmi les principes généraux du droit de la commande publique pour que d’autres objectifs de nature économique et sociale viennent contrebalancer le respect de la concurrence, en appliquant le principe de proportionnalité, à l’instar de ce qui se fait déjà dans d’autres États européens ;

  • le triplement du seuil de l’achat innovant, qui permet de passer des marchés publics sans publicité ni mise en concurrence préalables, pour le porter à 300 000 euros ;

  • la formation des acheteurs publics à l’achat innovant, afin d’introduire la culture du risque et de les sensibiliser aux souplesses offertes par le droit de la commande publique mais souvent ignorées par les pouvoirs adjudicateurs ;

  • l’adoption, au niveau européen, d’un Small Business Act afin de réserver une partie de la commande publique aux acteurs économiques européens de moindre envergure.

Face au manque de culture technique et industrielle de l’administration et aux procédures administratives trop longues, il est indispensable de renforcer les initiatives de facilitation des démarches et de raccourcissement des délais pour aligner temps administratif et temps économique en :

  • fixant des objectifs chiffrés pour les délais des procédures administratives (instructions des dossiers, autorisation de mise sur le marché, etc.) ;

  • systématisant la pratique des procédures menées en parallèle et en garantissant que les administrations soient engagées par leurs réponses antérieures ;

  • augmentant le nombre de « sites industriels clés en main » au travers d’une meilleure planification de leur utilisation, en collaboration avec les collectivités territoriales et les services déconcentrés de l’État, et en privilégiant les opérations de recyclage des sites industriels.

La propriété intellectuelle, notamment la propriété industrielle, est une source majeure de compétitivité pour les entreprises et pour l’économie. En France, cet enjeu est pourtant insuffisamment pris en compte par les PME et les pouvoirs publics. À l’instar de ce qui existe dans d’autres pays, il est proposé de créer un haut-commissariat à la propriété industrielle auprès du Premier ministre afin d’intégrer, au plus haut niveau, cette dimension dans la stratégie globale de soutien à l’innovation.

Le rôle des acteurs privés : un écosystème de fonds d’investissement dédiés aux entreprises industrielles innovantes à développer, une attitude bienveillante à endosser

En complément des initiatives prises par les pouvoirs publics, l’investissement privé doit prendre le relais afin de soutenir toutes les étapes du développement des entreprises industrielles innovantes (de l’amorçage jusqu’à l’introduction en bourse), par :

  • l’extension de l’initiative Tibi au financement des entreprises industrielles innovantes, de rupture technologique et de biotechnologie, via la mobilisation, dès 2023, des investisseurs institutionnels pour soutenir la création de fonds de croissance sensibilisés aux spécificités des projets à vocation industrielle ;

  • la sensibilisation des gestionnaires de patrimoine de familles industrielles à investir dans le développement des startup industrielles ;

  • une meilleure formation des analystes financiers aux problématiques spécifiques des entreprises industrielles innovantes et à l’intérêt de mieux répartir leurs investissements sur le territoire national;

  • l’accélération de la création d’un « Nasdaq européen » dédié, dès maintenant, aux licornes du numérique et permettant, dans un second temps, d’accueillir les licornes industrielles ;

  • l’incitation des grands groupes à s’impliquer dans l’émergence et la croissance des entreprises innovantes en intégrant, au sein des critères de responsabilité sociale des entreprises, la collaboration entre les grands groupes et les start-up et PME innovantes.

Retrouvez le détail des auditions et du rapport directement sur le site du Sénat et la page dédiée.

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