L’intelligence artificielle et le service public de la santé : mon rapport pour la Délégation sénatoriale à la prospective

La révolution de l’IA générative pourrait bouleverser tous les secteurs d’activité – y compris le secteur public. Comment mettre cet outil au service de l’intérêt général ? Comment exploiter son potentiel sans rien céder sur nos libertés, notre humanité et notre souveraineté ?

Pour son thème de travail 2024, la Délégation sénatoriale à la prospective a fait le choix d’une approche concrète et sectorielle, avec une série de rapports thématiques confiés à des binômes ou trinômes de rapporteurs, des auditions publiques et des travaux communs avec d’autres délégations.

À l’instar des révolutions technologiques générales que furent la machine à vapeur, l’électricité ou encore Internet, l’intelligence artificielle (IA) pourrait profondément changer la façon dont nous vivons et travaillons, et ceci dans tous les domaines. Pourtant, dans le secteur public, les expérimentations restent à ce jour limitées, les annonces modestes, et la parole officielle extrêmement prudente.

Pour l’État, les collectivités territoriales et les autres acteurs publics, le potentiel de l’IA générative est immense. Bien utilisée, elle pourrait devenir un formidable outil de transformation de l’action publique, rendant celle-ci non seulement plus efficace – qu’il s’agisse de contrôle fiscal ou de diagnostic médical – mais aussi plus proche des citoyens, plus accessible, plus équitable, plus individualisée et finalement plus humaine – avec une capacité inédite à s’adapter aux spécificités de chaque élève, de chaque demandeur d’emploi, de chaque patient ou de chaque justiciable.

Pour autant, le secteur public n’est pas un secteur comme les autres. Si l’IA n’est qu’un outil, avec ses avantages, ses risques et ses limites, son utilisation au service de l’intérêt général ne pourra se faire qu’à condition que les agents, les usagers et les citoyens aient pleinement confiance.

 

Mon rapport « IA et Santé » 

En tant que membre de cette délégation depuis octobre 2023, j’ai été co-rapporteur du rapport d’information « IA et Santé », dont les conclusions ont été rendues mardi 21 mai.

La santé et les activités médicales, services publics essentiels qui représentent des dépenses publiques de près de 10 % du PIB en France, sont des domaines amenés à être profondément transformés par l’intelligence artificielle. La production massive de données de santé et la complexité de leur traitement font de l’IA une aide précieuse pour la pratique médicale.

Mais en même temps, comme à chaque saut technologique, l’apparition de risques liés aux transformations rapides pose de nombreuses questions. L’IA ouvre en particulier de nouveaux champs d’interrogations sur l’éthique, tant la perspective d’une médecine totalement mécanisée et déshumanisée paraît inacceptable.

La technologie étant désormais disponible, il est illusoire de penser qu’on pourra échapper aux risques qu’elle comporte par des interdictions. Toute technologie performante est forcément utilisée. L’important est de créer un cadre de régulation pertinent pour l’utiliser le mieux possible. Celui-ci se met en place progressivement. L’adoption de l’AI Act à l’échelle européenne constitue à cet égard une étape importante.

Délaissant les approches extrêmes, ni « techno-enthousiaste » ni « techno-pessimiste », ce rapport identifie les différents scénarios de déploiement de l’IA, en s’appuyant sur les utilisations déjà existantes ou celles actuellement développées par des startups en lien avec les professionnels de santé.

Nos conclusions et recommandations 

Confronté à l’explosion des données, à la complexité des situations, dans un contexte de tensions budgétaires et de temps contraint pour assurer les soins aux patients, le secteur de la santé est l’un de ceux qui pourraient le plus tirer parti des progrès de l’IA.

Le potentiel de transformation des pratiques soignantes par l’IA, au bénéfice des patients, est fort. Le caractère spectaculaire de l’IA générative a porté un regain d’engouement pour l’IA, même si nombre des applications de l’IA en santé ne relèvent pas de l’IA générative mais de l’IA classique.

Il n’y a pas un modèle unifié d’IA mais en réalité plusieurs formes d’IA, pour lesquelles une première exigence réside dans la qualité des données d’entrée utilisées pour entraîner les modèles d’apprentissage automatisé et d’apprentissage profond. Les utilisations de l’IA en santé sont également très variées : recherche, dépistage, fourniture d’informations, aide à la décision, production documentaire.

La médecine a toujours intégré les meilleures connaissances et l’ensemble des technologies disponibles pour améliorer la prise en charge des patients. Si l’IA est capable de résoudre des questions pratiques comme la lecture d’un cliché radiologique, la synthèse d’articles scientifiques ou la modélisation 3D de protéines, elle sera à n’en pas douter adoptée par ceux dont le travail quotidien sera ainsi facilité.

Mais cette adoption pourrait se faire à un rythme variable : certains y auront accès plus vite que d’autres, certains verrous psychologiques ou financiers créeront des réticences. Les inégalités de santé pourraient s’accroître si l’on n’y prend pas garde.

L’IA va aussi transformer la relation entre patients et médecins, comme l’a déjà fait la démocratisation de l’information médicale grâce à Internet. Mieux informés, les patients seront plus exigeants mais ils pourront aussi être davantage acteurs des soins.

Enfin, l’IA pourrait transformer l’approche du soin, fondée largement aujourd’hui sur le curatif. Avec l’IA et le développement des dépistages et prédictions à partir de données massives, c’est vers une médecine plus personnalisée et plus axée sur la prévention de l’apparition de potentielles maladies que l’on s’orientera. Nous pourrions faire ainsi des économies dans les dépenses de santé, en évitant des traitements curatifs coûteux. Mais nous pourrions aussi multiplier les examens de contrôle et dériver vers un monitoring permanent anxiogène.

L’économie de la santé et celle du numérique seront davantage imbriquées, et l’enjeu d’une IA souveraine n’est pas à négliger dans les politiques publiques nationale et européenne.

Vous pouvez consulter le rapport complet en ligne via le lien suivant : https://www.senat.fr/rap/r23-611/r23-611-syn.pdf

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