Christian REDON-SARRAZY, Sénateur de la Haute-Vienne

Proposition de loi visant à faciliter la mise en œuvre des objectifs de « zéro artificialisation nette » au cœur des territoires

Le Sénat a adopté le 16 mars 2023 une proposition de loi, fruit d’une réflexion et d’une rédaction co-construite par le groupe SER. Le Sénat a en effet engagé un travail collectif suite à la consultation des élus locaux qui avaient exprimé leurs inquiétudes dans la mise en œuvre de l’objectif de « zéro artificialisation nette » (ZAN), voté en août 2021 dans le cadre de la loi Climat et Résilience.

 

Qu’est-ce que l’objectif ZAN ? 

Cet objectif vise à fixer une trajectoire nationale de réduction de l’artificialisation des sols selon un calendrier qui devait s’organiser autour de deux périodes :

  1. Sur la période 2021-2031, un objectif de réduction de moitié de la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers constatée entre 2011 et 2021. Entre 20 000 à 30 000 hectares sont consommés chaque année en moyenne sur les 10 dernières années. Une division par deux d’ici 2031 conduit à réduire notre consommation à 12 500 hectares en moyenne, par an (hors renaturation).
  2. À compter de 2031 et à horizon 2050, un objectif d’absence d’artificialisation nette où toute action d’artificialisation devra être compensée par une opération de renaturation.

 

Cette trajectoire et ces objectifs devaient être déclinés territorialement et intégrés dans les documents de planification et d’urbanisme selon une méthode « en cascade » suivant un calendrier précis : 

  • 2024 pour les SRADDET
  • 2026 pour les SCoT
  • 2027 pour les PLU et cartes communales.

 

La proposition de loi sénatoriale visant à faciliter la mise en œuvre des objectifs du ZAN au cœur des territoires

Pour répondre aux besoins de clarification et d’appui demandés par les élus locaux, le Sénat a mené un travail transpartisan et présenté une proposition de loi, dont l’ambition est de rétablir l’équité entre les territoires, de mieux respecter les particularités et contraintes locales, et de ramener l’apaisement dans la mise en œuvre de cette réforme d’ampleur et structurante pour l’avenir de nos territoires. 

Lors des travaux d’élaboration de ce texte, le groupe SER s’est particulièrement attaché à :

  1. Redonner du temps aux collectivités pour engager cette réforme structurante et permettre une meilleure compréhension des enjeux par les citoyens.
  2. Renforcer le dialogue territorial.
  3. Défendre la création d’une garantie rurale, offrant aux petites communes des perspectives de développement.
  4. Créer une enveloppe spécifique de l’artificialisation résultant des projets d’intérêt national tout en maintenant l’exigence de sobriété foncière telle que votée dans la loi Climat.

 

Ce texte est une première étape et le groupe SER poursuit ses travaux pour mieux accompagner les élus : renforcement de l’ingénierie, soutien financier, adaptation fiscale sont en effet nécessaires.

A l’issue du vote par le Sénat, il existe toujours avec le Gouvernement 4 points importants de désaccord :

  1. Le Sénat réaffirme dans le texte adopté le 16 mars que le rapport aux règles du fascicule du SRADDET n’est pas celui de la compatibilité, mais bien celui de la prise en compte, tel qu’exprimé d’ailleurs par le législateur, lors du vote de la loi Climat (article 2). Le Gouvernement veut imposer quant à lui un rapport de compatibilité considérant que si la trajectoire n’est qu’indicative, rien ne garantira que la consommation foncière diminuera.
  2. S’il y a accord pour « un compté à part » des projets d’intérêt national, la qualification de ces projets et la mutualisation de la consommation d’espace en résultant font encore débat (article 4).
  3. S’il y a accord sur la création d’une « garantie rurale », le Sénat a voté une enveloppe minimale de 1 hectare pour toutes les communes, quand le Gouvernement propose 1% de la surface urbanisée applicable aux communes couvertes par un document d’urbanisme (article 7).
  4. La question de la nature des surfaces végétalisées considérées comme non artificialisées n’a pas non plus été tranchée : le Sénat souhaite que les surfaces à usage résidentiel et de loisirs soient considérées comme non artificialisées, alors que le Gouvernement retient une notion plus restreinte (parcs et jardins publics uniquement) (article 9).

 

Les débats vont désormais se poursuivre à l’Assemblée nationale. Le groupe SER demande à ce qu’un vote définitif du texte puisse intervenir cet été au plus tard (rappelant que le Gouvernement a déclenché la procédure accélérée sur le texte du Sénat).

 


 

Pour aller plus loin : le détail du texte adopté au Sénat

L’article 1er propose un nouveau calendrier pour l’évolution des documents de planification et d’urbanisme : les délais de modification des SRADDET sont reportés d’un an (soit au 22 février 2025) avec une déclinaison dans les SCoT d’ici l’été 2027, dans les PLU(i) et les cartes communales d’ici l’été 2028.

Le groupe SER a jugé en effet qu’un nouveau calendrier, plus réaliste, pour l’évolution des documents de planification et d’urbanisme était nécessaire. Et par souci de simplification, le groupe SER a spécifiquement demandé à ce que les mesures d’accélération des procédures de modification des SRADDET s’appliquent non seulement aux évolutions permettant d’intégrer les objectifs de réduction de l’artificialisation, mais également aux évolutions en cours sur les énergies renouvelables, les déchets, la logistique, voire la stratégie aéroportuaire, qui sont également rendues nécessaires.

L’article 2 prévoit que les règles du fascicule du SRADDET concernant les objectifs et trajectoires de réduction de l’artificialisation se déclinent dans un rapport de prise en compte (et non de compatibilité). Il s’agit de rappeler avec force ce que le Parlement avait adopté lors de la loi Climat et résilience : le SRADDET doit demeurer un document stratégique et non devenir prescriptif.

Le groupe SER est en effet opposé à une logique verticale, cela fait partie de nos lignes rouges.

L’article 3 instaure une gouvernance décentralisée du « ZAN » qui assure une meilleure représentation des élus communaux et des intercommunalités. La conférence régionale de gouvernance de la politique de réduction de l’artificialisation, qui remplace la conférence des SCoT, est présidée par le président du conseil régional. Elle est consultée sur la qualification des projets d’envergure régionale et nationale ; elle suit l’application des objectifs de réduction de l’artificialisation au sein du périmètre régional et formule à cet effet toute préconisation.

En séance, l’adoption d’un amendement socialiste permet aux départements d’être associés pleinement aux travaux de la conférence régionale avec un véritable avis, en rappelant qu’ils jouent un rôle majeur pour la préservation des espaces sensibles.

L’article 4 prévoit que les grands projets d’ampleur nationale ou européenne sont comptabilisés séparément, au sein d’une « enveloppe nationale », afin que leur impact en termes d’artificialisation ne soit ni comptabilisé, ni intégré aux documents de planification.

Si l’objectif d’une « enveloppe séparée » pour les projets d’intérêt national est partagé, il ne doit pas conduire à diminuer l’objectif de zéro artificialisation nette, tel que nous l’avons voté dans la loi Climat. A l’inverse, il ne doit pas non plus peser sur les objectifs de réduction de l’ensemble des territoires, c’est pourtant ce que souhaite le Gouvernement.

Sur ce point le groupe SER a particulièrement insisté pour que l’artificialisation des sols résultant des projets d’intérêt national fasse l’objet d’une comptabilisation séparée et d’une trajectoire spécifique d’atteinte des objectifs du ZAN, placée sous la responsabilité de l’État. Le Gouvernement présentera, tous les trois ans, l’état d’avancement des projets qu’il conduit, les chiffres de l’artificialisation projetée et constatée résultant de ces projets. Dans un souci de transparence, il présentera également les actions de réduction du rythme de cette artificialisation que l’État entend mettre en œuvre pour respecter ces propres engagements (utilisation des friches lui appartenant, financement ou action de renaturation…).

L’adoption d’un amendement socialiste permet de préciser que les projets d’intérêt national sont notamment ceux dont la maîtrise d’ouvrage est assurée directement par l’Etat ou confiés à un mandataire mais également ceux relevant d’une concession de service public.

A noter : il y a un désaccord avec le Gouvernement sur la qualification de projet d’intérêt national. Le Gouvernement souhaite fixer une liste de projets par décret avec un périmètre restreint (LGV, centrales nucléaires, prisons) n’incluant pas les projets économiques, ni les projets de réindustrialisation, y compris dans des secteurs stratégiques.

L’article 5 prévoit que les projets d’envergure régionale pourront être mutualisés et faire l’objet d’une inscription en tant que tel au SRADDET après avis de la conférence de gouvernance ZAN.

Le groupe SER a proposé que l’artificialisation des projets d’envergure régionale fasse l’objet d’une comptabilisation séparée au sein du SRADDET. L’objectif est de s’assurer qu’une trajectoire des projets d’envergure régionale sera bien mise en place pour contribuer à l’objectif ZAN de la Région.

Les communes et EPCI pourront être force de proposition dans l’identification de ces projets.

Le groupe SER a demandé que la Région informe les collectivités ayant soumis des projets, sur les choix qui ont été retenus et des motivations qui ont conduit à les retenir ou à ne pas les retenir.

L’article 6 améliore la prise en compte par les SRADDET et les SCoT des efforts déjà réalisés par les collectivités lors de la déclinaison des objectifs de réduction de l’artificialisation.

L’article 7 garantit à chaque commune une surface minimale de développement communal fixée à 1 hectare pour la première tranche de 10 ans. Elle s’applique aux communes non couvertes par un SCOT ou celles pour lesquelles une surface minimale de développement communal n’a pas été définie par le SCOT. L’application de cette « garantie rurale » fait l’objet d’un bilan avant 2031. La conférence de gouvernance peut proposer des pistes de réduction de cette enveloppe pour atteindre l’objectif d’absence d’artificialisation nette à l’horizon 2050.

Points de vigilance :

  • Le Sénat défend une application de la garantie à toutes les communes, quand le Gouvernement envisage de la réserver aux seules communes couvertes par un document d’urbanisme.
  • Le Gouvernement souhaite une garantie minimale de 1% de la surface urbanisée des communes, critère qui semble peu adapté aux communes rurales et à leur diversité.

Le groupe SER considère que si l’objectif « ZAN » est essentiel, il faut l’adapter aux territoires ruraux. La proposition de loi a conçu ce 1 hectare non comme une incitation à consommer mais une perspective de développement. Les données communiquées par la commission spéciale font état de 9 200 hectares concernés sur 10 ans, c’est-à-dire 7 % de l’artificialisation à destination de 43 % des communes. Enfin, ce n’est pas non plus une dérogation à l’objectif ZAN, puisque ce 1 hectare figure bien dans l’enveloppe régionale.

A noter : pour ne pas ralentir la dynamique de création des communes nouvelles, il est prévu une majoration de 0,5 hectare par commune déléguée, plafonnée à deux hectares.

L’article 8 prévoit « une part réservée au développement territorial » au sein des enveloppes régionales. Elle n’emporte aucune dérogation à la comptabilisation de l’artificialisation des sols, qui sera bien prise en compte et mutualisée au niveau du SRADDET, du SCoT ou du PLUi. La collectivité devra justifier que le projet ne peut pas être réalisé dans ses espaces déjà urbanisés.

L’article 9 prévoit que les surfaces à usage résidentiel, de loisirs (jardins, parcs, pelouses…) dont les sols sont couverts par une végétation herbacée, seront considérées comme non artificialisées. Les communes et EPCI pourront délimiter, via leurs documents d’urbanisme, des « périmètres de densification et de recyclage foncier » dans lesquels l’utilisation des espaces végétalisés à fins de densification ne sera pas considérée comme de l’artificialisation : cela permettra de mener des opérations de densification de lotissements, de recyclage des friches, de remplissage des dents creuses au sein des hameaux.  Il y a un fort désaccord sur cet article, le gouvernement souhaitant que seules les surfaces de parcs et de jardins publics soient considérées comme non artificialisées.

Dans le cadre de cet article, le groupe SER a notamment demandé des ajustements pour sauvegarder nos exploitations agricoles et permettre l’implantation de structures nouvelles adaptées aux enjeux climatiques : les surfaces occupées par des constructions et installations nécessaires à l’exploitation agricole seront considérées comme non artificialisées. C’est essentiel si on veut transformer durablement notre agriculture et promouvoir les circuits courts.

Pour favoriser la réappropriation des friches et du bâti existant, le groupe SER a proposé que les territoires puissent bénéficier de la part de l’Etat, en toute transparence, d’un état exhaustif et documenté du stock disponible de terrains, et notamment de friches, précisant leur localisation par département, la propriété publique ou privée des terrains, ainsi que leur nature, leur qualité et l’estimation du coût des opérations de renaturation. 200 000 hectares de friches sont, en effet, potentiellement disponibles pour être soit réinvesties, soit renaturées.

L’article 10 prévoit que dans les territoires littoraux frappés par le recul du trait de côte (975 communes concernées), les surfaces artificialisées rendues impropres à l’usage en raison de l’érosion côtière sont décomptées de l’artificialisation ou de la consommation d’espace constatée sur la période de 10 ans, si elles ont fait l’objet d’une renaturation. Les relocalisations des aménagements et constructions rendues nécessaires en raison du recul du trait de côte feront l’objet d’une étude préalable de densification des zones déjà urbanisées, afin de limiter la consommation de nouveaux espaces qui en résultera. L’artificialisation de ces constructions ne sera pas prise en compte pour évaluer l’atteinte des objectifs de réduction de l’artificialisation des sols.

L’article 11 prévoit que l’État transmet aux collectivités des données fiables et complètes sur l’artificialisation des sols et la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers. L’objectif est de disposer rapidement d’un référentiel commun pour l’établissement des trajectoires et des objectifs de réduction de l’artificialisation des sols.

Le groupe SER a demandé que la mise à disposition des données fournies par l’État ne soit pas exclusive d’autres données que les régions et les autres collectivités pourraient collecter par ailleurs via des observatoires régionaux ou locaux.

L’article 12 instaure un droit de préemption sur les espaces propices à la renaturation ou au recyclage foncier et une possibilité de surseoir à statuer spécifique avant l’entrée en vigueur du PLU ou de la carte communale modifié ou révisé pour prendre d’ores et déjà en compte les objectifs de réduction de l’artificialisation des sols.

L’article 12 bis prévoit l’imputation sur la période 2011-2021 de la consommation des projets réalisés au sein d’une opération autorisée avant la loi Climat-résilience.

L’article 13 prévoit que les efforts de renaturation conduits par les collectivités depuis l’adoption de la loi « Climat-résilience » seront pris en compte pour évaluer l’atteinte de leurs objectifs « ZAN ».

C’est une demande que le groupe SER avait formulée pour ne pas pénaliser les territoires vertueux depuis plusieurs années.

L’article 14 prévoit la remise d’un rapport relatif au renforcement des outils d’ingénierie publique territoriale nécessaires à la mise en œuvre des objectifs de zéro artificialisation nette des sols par les collectivités territoriales.

 


 

Vous trouverez enfin ci-après le texte et la vidéo de mon intervention dans la discussion générale de la proposition de loi le mardi 14 mars.

Intervention dans la discussion générale de la proposition de loi « visant à faciliter la mise en oeuvre des objectifs de ‘zéro artificialisation nette’ au coeur des territoires » le mardi 14 mars 2023 (source : compte rendu analytique officiel du 14 mars 2023) 

La déclinaison du ZAN est sans doute la principale préoccupation des élus depuis la loi Climat et résilience. Quels outils pour freiner les projets très consommateurs d’espace et respecter le calendrier ? Comment répartir l’effort ? Comment associer les communes aux décisions régionales ? Quelle place pour les grands projets d’avenir ? Bref, comment articuler sobriété foncière et développement ?

Les zones rurales risquent de devenir la variable d’ajustement des zones plus attractives. Le groupe SER n’a jamais remis en cause le ZAN, pas plus que la plupart des maires. Mais il faut malgré tout entendre les craintes des élus. La différenciation locale est essentielle. Il faut donc une concertation ascendante et un accompagnement de l’État.

En mai 2021, la commission des affaires économiques avait créé un groupe de travail. Notre rapport prônait un ZAN territorialisé, articulé et accompagné. Il n’en a pas été tenu compte. Les deux décrets du printemps 2022 ont provoqué une levée de boucliers des élus.

La mission du Sénat créée en septembre a abouti à cette proposition de loi, organisée autour de quatre axes : dialogue territorial autour de la gouvernance, accompagnement des projets structurels de demain, prise en compte de la spécificité des territoires, et préparation de la transition vers le ZAN.

La commission spéciale a retenu des propositions du groupe SER, avec, à l’article 4, une comptabilisation séparée des projets d’intérêt national, sous la responsabilité de l’État.

Autre avancée : la réappropriation des friches. Les territoires pourront bénéficier de l’état des stocks, par département, selon leur nature, avec estimation des coûts de renaturation.

Nous formulerons des propositions sur la réhabilitation du bâti, notamment agricole. Nous proposerons aussi un article additionnel relatif aux logements sociaux.

Monsieur le ministre, la garantie rurale, la prise en compte du Sraddet et la qualification des pelouses et jardins comme terrains artificialisés sont autant de questions à régler. La fiscalité et le financement sont les sujets qui fâchent le plus.

Je salue, monsieur le ministre, votre volonté de laisser au Sénat la primauté des améliorations à apporter au ZAN. J’espère une CMP conclusive, pour que nos maires aient enfin des clés pour tenir cet objectif. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST ; Mme Marie-Claude Varaillas applaudit également.)

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